Les violons de Faust

Étincelle

 
Du baroque à la création contemporaine, Isabelle Faust, familière du grand répertoire violonistique, donne libre cours à la fantaisie polyphonique autour de son instrument, auquel s’adjoint l’électronique pour la création de Michael Jarrell.

La violoniste Isabelle Faust jouera sur instrument baroque et sur instrument moderne pour son récital à ManiFeste. « Je menais de front deux récitals pour violon seul, l’un baroque et l’autre contemporain car Heinz Holliger et Michael Jarrell m’écrivaient des pièces. Lorsque l’Ircam m’a demandé un programme soliste, j’ai tout de suite eu l’idée de relier les deux programmes. Et c’est à la demande de l’Ircam que Jarrell a complété une pièce avec une partie électronique, ce qui m’a immédiatement attirée. »

Isabelle Faust et Alexander Melnikov © Molina Visuals

Isabelle Faust et Alexander Melnikov © Molina Visuals

Ce goût de l’aventure n’est pas nouveau. Loin de se contenter du grand répertoire romantique, Isabelle Faust n’a jamais réduit sa pratique musicale à la maîtrise de l’instrument, mais bien plutôt, et le jeu de mot est facile avec un tel patronyme, à un pacte exigeant entre l’interprète et la partition. On s’en convaincra aisément avec ses collaborations remarquées avec les regrettés Frans Brüggen et Claudio Abbado, ses prestations chambristes avec le pianiste Alexander Melnikov ou sa remarquable intégrale « baroquisante » des Sonates et Partitas de Bach. Car ce travail de réinvention, Isabelle Faust l’étend bien sûr aux partitions contemporaines. Elle a créé plusieurs concertos de Thomas Larcher, et signe du caractère exceptionnel de l’artiste, elle défend des partitions rares, comme le Concerto d’André Jolivet, qu’elle porte sur les scènes du monde entier. Mais attention, prévient le compositeur Michaël Jarrell, Isabelle Faust réclame un investissement aussi total que le sien : « Ce qui frappe chez elle, c’est l’intelligence du texte, elle ne joue pas que les notes ; elle se pose beaucoup de questions, y compris lorsqu’elle aborde Mendelssohn et Mozart. Elle ne prendra jamais le premier chemin venu ». Pour Dornröschen, la création préparée à l’Ircam qu’il destine à la violoniste, Jarrell est directement parti de son instrument. Isabelle Faust joue en effet un Stradivarius de 1704 appelé « La Belle au bois dormant » (Dornröschen en allemand) après avoir « dormi » plusieurs décennies dans un château oublié. « Plus fort que chez d’autres, j’ai senti chez elle un rapport très fort à son instrument. C’est pourquoi, j’ai imaginé un dialogue entre l’instrument et la salle au travers de l’électronique, comme si le violon   » réveillait  » l’espace de la salle ».

Et s’il y a un fil conducteur dans ce récital qui balaie près de quatre siècles de musique, c’est bien ce soin jaloux et cette attention extrême à l’instrument et à ses capacités. De Biber (1644-1704), le premier maître de la technique de scordatura à Pisendel (1687-1755), contemporain de Bach à Dresde, Isabelle Faust entremêle ces artisans furieux de la musique tels George Benjamin et Heinz Holliger qui, pardelà les époques, témoignent d’une même maîtrise de l’instrument et d’un souci de faire du violon le théâtre d’une expressivité qui se déjoue des difficultés techniques. Sur instrument d’époque ou accompagnée de l’électronique, Isabelle Faust fait de chaque pièce une expérience vivante.